Un tribunal espagnol valide la légalité des fleurs CBD

En Europe, malgré la légalisation du CBD sous conditions, certains pays membres peuvent encore adopter une position différente, comme la France ou l’Espagne.
En Espagne, le cannabidiol, plus communément appelé CBD, jouit d’un cadre légal relativement flou. Il est légal tant que la teneur en THC des plants ne dépasse pas 0,2%. Par contre, comme il n’a pas encore été enregistré comme aliment ou complément alimentaire à l’Agence Espagnole des Médicaments et des Produits Sanitaires (AEMPS), il ne peut pas encore être commercialisé en tant que tel. Les producteurs sont donc obligés de l’étiqueter pour un usage topique et cosmétique, c’est-à-dire pour un usage externe uniquement. Tout usage interne est considéré comme illégal.

Par ailleurs, en s’appuyant sur la Convention des Nations-Unies de 1961, le parquet anti-drogue espagnol classe la fleur de cannabis, quelle que soit sa teneur en THC, dans la catégorie des stupéfiants sauf les cultures autorisées par l’AEMPS. La situation légale des produits à base de CBD en Espagne est donc relativement floue.
Néanmoins, un jugement rendu récemment par un tribunal espagnol contredisant cette décision du parquet espagnol anti-drogue pourrait apporter un changement à la situation.

Que dit la loi espagnole sur le cannabis et le cannabis « light » ou CBD ?

La loi espagnole sur le cannabis reste relativement nébuleuse. On parle d’une dépénalisation, et non d’une légalisation en bonne et due forme. Autrement dit, la consommation personnelle de cannabis, même à usage récréatif, est tolérée uniquement dans les espaces privés. Par contre, elle reste illégale dans les lieux publics et s’il s’agit d’une consommation en grande quantité (supérieure à 50 grammes).
De même, la vente de cannabis récréatif ainsi que la culture de cannabis en lieu public et en grande quantité sont strictement interdites sur le territoire espagnol.

En ce qui concerne le cannabis CBD ou cannabis light, il n’existe pas de loi spécifique qui réglemente la production ou la consommation de cette molécule en Espagne. Le pays doit alors s’aligner sur les conventions internationales existantes ainsi que sur la jurisprudence nationale et internationale. L’Espagne s’aligne surtout sur la position de l’Union Européenne qui a légalisé le CBD tant que la plante ne contienne pas plus de 0,2% de THC.

Toutefois récemment, une nouvelle instruction du bureau anti-drogue de l’Espagne stipule que tout bourgeon de cannabis, quelle que soit la proportion de THC qu’il contient, est considéré comme du stupéfiant à l’exception de ceux autorisés par l’AEMPS. Tout produit à base de CBD doit donc être soumis à un contrôle tout comme le cannabis.
C’est dans ce cadre qu’un propriétaire de boutique vendant des produits à base de CBD en Espagne s’est vu saisir des fleurs de CBD dans son magasin. Il a été poursuivi pour un prétendu délit contre la santé publique et a été passible d’une peine allant jusqu’à 4 ans d’emprisonnement.

Le 14 août 2018, deux agents de la Garde civile espagnole sont venus inspecter son magasin et ont saisi des produits à base de CBD exposés dans son comptoir ainsi que du haschisch et de la marijuana placés dans un bureau privé, isolé du public.

Le cabinet d’avocats valencien chargé de défendre l’accusé, et représenté par l’avocat Joan Bertomeu, a déclaré, avec fourniture des factures à l’appui, que les échantillons de CBD exposés dans le magasin de son client avaient été achetés légalement. Ceux-ci ne dépassent pas la limite légale de taux de THC dans le plant.

Un jugement qui contredit le parquet anti-drogue et acquitte l’accusé.

Pour justifier sa décision finale, le juge déclare qu’il s’est aligné sur l’arrêt Kanavape rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne en novembre dernier. Selon lui, cette instruction ne peut pas être ignorée. Pour rappel, cet arrêt s’oppose à l’existence d’une législation nationale qui interdit la commercialisation de CBD légalement produit dans un autre Etat membre de l’UE, tant que celui-ci a été extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité, et pas uniquement de ses graines ou de ses fibres. Une quelconque interdiction constituerait une atteinte au principe de la libre circulation des marchandises, un des principes fondamentaux du traité FUE.

Tout comme en France, cet arrêt a créé un véritable bouleversement dans l’encadrement légal du CBD en Espagne. Ici, la décision du tribunal espagnol a été d’acquitter l’accusé en se basant sur cet arrêt de la CJUE.
En ce qui concerne les sacs de haschich et marijuana que l’accusé avait dans son bureau – l’affaire a été instruite par le tribunal de première instance et d’instruction N°3 de Sagunto – il déclare qu’il est un consommateur habituel. Il consomme environ 10 à 15 joints par jour à titre personnel.

Après analyse d’échantillons de cheveux par l’Institut national de toxicologie et de sciences médico-légales, le tribunal pénal de Valence déclare que le statut de consommateur de cannabis est accrédité. En effet, la condamnation est fondée sur la manière de présenter les produits dans divers sacs en plastique. Sans casier judiciaire, l’accusé affirme avoir fait cela afin de classer ses herbes selon la nature du bourgeon. Certains sont plutôt terreux, d’autres fruités, etc.

Même si cette identification sur les sacs en plastique en fonction du type et du poids du cannabis semble être suspecte, le juge n’a pas pu avoir la certitude absolue quant à la destination des produits. Ces derniers n’étaient pas destinés à la vente. Aucune information ne permet de le confirmer.
Par ailleurs, la quantité de cannabis saisie par la Garde civile dans le magasin de l’accusé ne dépasse pas la limite fixée par la Cour Suprême comme relevant de l’autoconsommation. De même, aucun virement étrange ou somme d’argent excessive n’a été signalée. Selon le juge, il n’existe pas de données objectives qui permettent de confirmer la vente au détail de produits à base de cannabis dans le magasin, impliquant une quantité considérable. C’est le contraire.

Le jugement acquitte donc le propriétaire du magasin et ordonne de lui restituer ses sacs de CBD dans lesquels on a surtout trouvé du Mango Krush, du Sour Diesel, de l’Amensia Haze, du Blue Berry et du Critical Mass.

Une répression préventive contre les producteurs et les boutiques de CBD en Espagne

L’avocat Joan Bertomeu, du cabinet Brotsanbert, souligne que c’est le premier jugement rendu en Espagne qui fait référence à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne en novembre dernier relatif à l’affaire Kanavape et qui approuve le CBD sur le territoire.

Cette décision revêt une importance capitale, car contrairement à ce qu’avancent le parquet anti-drogue et l’Agence Espagnole des Médicaments et des Produits Sanitaires, il est évident que la fleur de CBD, à faible teneur en THC, ne peut pas être considérée comme un stupéfiant. Elle ne produit pas d’effet psychoactif ni d’effets nocifs sur la santé. A ce titre, elle ne doit pas être considérée comme pénalement imposable.

Par ailleurs, le laboratoire déclare que les produits CBD ne sont pas contrôlés contrairement à ce que soutient l’Agence Espagnole des Médicaments et des Produits Sanitaires dans l’affaire. Le juge d’instruction avait demandé un rapport qui stipulait que les extraits et la résine de CBD saisis ont été contrôlés. Une affirmation rejetée par le juge qui déclare que cela n’a pas de sens. D’autant plus que la CJUE a soutenu que le commerce de produits à base de CBD ne peut pas être interdit, car ils n’ont pas d’effets psychoactifs ou sur la santé en l’état des connaissances scientifiques actuelles.

L’avocat Joan Bertomeu dénonce ainsi l’AEMPS et le parquet anti-drogue d’utiliser une répression préventive au détriment des producteurs de chanvre industriel et de CBD en Espagne. Il ne faut pas oublier que le pays fait partie des plus grands producteurs de cannabis et de CBD en Europe. Outre l’existence d’un flou juridique sur le marché du cannabis en Espagne qui a favorisé cette situation, cette dernière s’explique aussi par un climat propice à la culture de plantes riches en cannabinoïdes et à la proximité géographique avec le Maroc. Depuis des années, ce dernier fait passer son haschisch à travers la frontière espagnole.

Une nouvelle orientation des futures décisions judiciaires sur le CBD ?

Bien que jusqu’ici, l’Espagne soit considérée comme l’un des pays les plus souples en matière de législation sur le CBD, l’instruction donnée par le Bureau anti-drogue interdisant la vente, la consommation, la détention ou la culture de fleurs de cannabis quelle que soit leur teneur en THC a resserré l’étau. Cet arrêt rendu par le tribunal de Valence est donc considéré par les consommateurs de CBD ainsi que les magasins spécialisés comme un nouveau souffle. Il donne un aperçu sur la nouvelle orientation que pourraient prendre les futures décisions judiciaires en Espagne à propos du CBD.

Dans tous les cas, la position de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui déclare illégale l’interdiction de la commercialisation du CBD au sein des pays membres de l’UE a déjà fait jurisprudence dans bon nombre de pays et pourra encore ré-orienter la législation du CBD dans beaucoup d’autres.

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